Le printemps est arrivé à Dinnewrac. Le monastère se réchauffe et le silence de nos prières est rompu par le bêlement des agneaux et le chant des alouettes. Là où la neige est restée si longtemps poussent des violettes blanches et des stellaires, mais le mieux de tout, c’est de savoir qu’Igraine a donné naissance à un enfant, un garçon, et que tous deux ont survécu. Dieu soit loué pour cela, ainsi que pour la douceur du temps, mais pour guère plus. Le printemps devrait être la saison du bonheur, pourtant de sombres rumeurs courent sur l’ennemi.

Les Saxons sont de retour, bien que nous ignorions si les feux que nous avons vus hier soir, à l’horizon ouest, ont été allumés par leurs lanciers. En tout cas, ces brasiers enflammaient le ciel nocturne comme un avant-goût de l’enfer. Un fermier est venu, à l’aube, nous apporter des bûches de tilleul dont nous avions besoin pour fabriquer une nouvelle baratte, et il nous a dit que c’étaient des feux de pillards irlandais, mais nous en doutons car, depuis quelques semaines, il circule trop d’histoires de bandes de guerriers saxons. Arthur avait réussi à garder l’ennemi à distance pendant toute une génération et, pour ce faire, enseigné le courage à nos rois, mais depuis nos chefs sont redevenus si faibles ! Et maintenant, les Saïs réapparaissent, telle une peste.

Dafydd, le clerc du tribunal qui traduit ces parchemins en langue bretonne, est venu aujourd’hui chercher les tout derniers, et il m’a dit que les feux étaient presque certainement un méfait saxon ; il m’a ensuite informé qu’on avait donné le nom d’Arthur au fils d’Igraine. Arthur ap Brochvael ap Perddel ap Cuneglas, un beau nom, même si Dafydd ne l’approuvait visiblement pas, et je n’ai pas compris tout de suite pourquoi. C’est un petit bonhomme, qui ressemble un peu à Sansum, avec la même expression affairée et les mêmes cheveux hérissés. Il s’est assis à ma fenêtre pour lire mes parchemins et n’a cessé de pousser des exclamations de désapprobation et de secouer la tête devant mon écriture. « Pourquoi Arthur a-t-il quitté la Dumnonie ? a-t-il fini par me demander.

— Parce que Meurig y tenait et qu’Arthur n’avait jamais eu réellement envie de gouverner.

— Mais c’était irresponsable de sa part ! dit-il sévèrement.

— Arthur n’était pas roi, et nos lois affirment que seuls les rois peuvent gouverner.

— On peut modifier les lois, répliqua Dafydd en fronçant le nez, je suis bien placé pour le savoir, et Arthur aurait dû être roi.

— Je suis d’accord, mais il ne l’était pas. Il n’avait aucun droit légitime, Mordred, si.

— Alors Gwydre non plus, objecta Dafydd.

— Oui, mais si Mordred était mort, Gwydre pouvait y prétendre autant qu’un autre, sauf Arthur, bien sûr, mais Arthur ne voulait pas être roi. » Je me demandais combien de fois j’avais déjà expliqué cela. « Arthur s’est consacré à la Bretagne parce qu’il avait fait le serment de protéger Mordred, et lorsqu’il est parti en Silurie, il avait accompli tout ce qu’il s’était proposé de faire. Il avait uni les royaumes de Bretagne, apporté la justice à la Dumnonie et vaincu les Saxons. Il aurait pu résister à la demande que lui fit Meurig de renoncer au pouvoir, mais dans son cœur, il ne le désirait pas, ce pouvoir, aussi a-t-il rendu la Dumnonie à son roi légitime, et vu se déliter toute son œuvre.

— C’est pourquoi il aurait dû rester au pouvoir. » Je trouve que Dafydd ressemble beaucoup à saint Sansum, lorsqu’il se trompe, il ne veut jamais le reconnaître.

« Oui, dis-je, mais il était las. Il voulait que d’autres reprennent le fardeau. Si quelqu’un est à blâmer, c’est moi ! J’aurais dû rester en Dumnonie au lieu de passer tout ce temps à Isca. Mais à l’époque, personne ne voyait ce qui était en train d’arriver. Aucun de nous ne s’est aperçu que Mordred faisait tout pour devenir un bon soldat, et après, il nous a convaincus qu’il mourrait bientôt et que Gwydre deviendrait roi. Et qu’alors tout irait bien. Nous vivions dans l’espoir et non dans le monde réel.

— Je continue à penser qu’Arthur nous a laissés tomber », affirma Dafydd, d’un ton qui expliquait pourquoi il désapprouvait le nom du nouvel Edling. Combien de fois avais-je été forcé d’écouter cette même condamnation d’Arthur ? Si seulement il était resté au pouvoir, disait-on, les Saxons auraient continué à nous payer un tribut et la Bretagne s’étendrait d’une mer à l’autre, mais quand il gouvernait la Bretagne, on grommelait aussi contre lui. Lorsqu’il donnait aux gens ce qu’ils désiraient, ils se plaignaient que ce n’était pas suffisant. Les chrétiens lui reprochaient de favoriser les païens, les païens lui reprochaient de tolérer les chrétiens, et tous les rois, sauf Cuneglas et Œngus Mac Airem, le jalousaient. Le soutien d’Œngus ne pesait pas lourd, mais lorsque Cuneglas mourut, Arthur perdit son partisan royal le plus précieux. En outre, Arthur ne laissa jamais tomber personne. La Bretagne tomba d’elle-même. La Bretagne laissa les Saxons revenir en douce, les Bretons se chamaillaient entre eux et gémissaient que tout était de la faute d’Arthur. Arthur, qui leur avait donné la victoire !

Dafydd parcourut les dernières pages. « Est-ce que Ceinwyn s’est rétablie ?

— Oui, loué soit Dieu, et elle a vécu encore bien des années. » J’allais lui parler de ces derniers temps, mais je vis que cela ne l’intéressait pas, aussi je gardai mes souvenirs pour moi. Finalement, Ceinwyn mourut d’une fièvre. Je voulus brûler son cadavre, mais Sansum insista pour qu’elle soit enterrée à la façon chrétienne. Je lui cédai, mais un mois plus tard, je m’arrangeai pour que des hommes, fils et petits-fils de mes anciens lanciers, déterrent son corps et le brûlent sur un bûcher funéraire afin que son âme puisse rejoindre ses filles dans l’Autre Monde, et ce péché ne me donne aucun regret. Je doute qu’un homme en fasse autant pour moi, mais peut-être Igraine, si elle lit ces mots, fera-t-elle édifier mon bûcher funéraire. Je prie pour qu’elle le fasse.

« Est-ce que tu changes l’histoire en la traduisant ? demandai-je à Dafydd.

— La changer ? » Il prit un air indigné. « Ma reine ne me laisserait pas changer une syllabe.

— Vraiment ?

— Je peux corriger quelques fautes de grammaire, dit-il en rassemblant les peaux, mais rien d’autre. Je suppose que la fin de l’histoire est proche ?

— Oui.

— Alors, je reviendrai dans une semaine. » Il mit les parchemins dans un sac et s’empressa de partir. Un instant plus tard, Sansum se précipita dans ma chambre. Il portait un étrange paquet que je pris d’abord pour un bâton enveloppé dans une vieille cape. « Dafydd a-t-il apporté des nouvelles ?

— La reine va bien, ainsi que l’enfant. » Je décidai de ne pas révéler à l’évêque qu’on avait appelé le petit garçon Arthur ; cela ne ferait que contrarier le saint et la vie est bien plus facile à Dinnewrac lorsque Sansum est de bonne humeur.

« J’ai parlé de nouvelles, me reprit-il sèchement, pas de bavardage de femmes à propos d’un bébé. Les feux ? Est-ce que Dafydd a parlé des feux ?

— Il n’en sait pas plus que nous, Monseigneur, mais le roi Brochvael croit que ce sont les Saxons.

— Dieu nous en préserve. » Sansum alla se poster à ma fenêtre d’où une traînée de fumée était encore visible à l’est. « Dieu et ses saints nous protègent », pria-t-il, puis il alla déposer son étrange paquet sur mon bureau. Il déplia la cape et je vis, à mon grand étonnement, que c’était Hywelbane ; quoique au bord des larmes, je n’osai pas montrer mon émotion, mais me signai comme si j’étais choqué de voir apparaître une arme dans notre couvent. « Les ennemis se rapprochent, dit Sansum pour expliquer la présence de l’épée.

— Je crains que vous n’ayez raison, Monseigneur.

— Et des ennemis, cela veut dire toujours plus d’hommes affamés dans nos collines, aussi le soir, tu monteras la garde au monastère.

— Qu’il en soit ainsi, Seigneur », dis-je humblement. Moi ? Monter la garde ? J’ai des cheveux blancs, je suis vieux et faible. On pourrait tout aussi bien demander cela à un enfant qui commence à marcher, mais je ne protestai pas et, lorsque Sansum eut quitté la pièce, je tirai Hywelbane de son fourreau et me dis qu’elle était devenue bien lourde durant les longues années passées dans le Trésor du monastère. Lourde et peu maniable, mais c’était toujours mon épée, et je regardai attentivement les os de porc jaunis insérés dans sa garde, puis l’anneau d’amant attaché à son pommeau, et je vis, sur cette bague aplatie, les minuscules pépites d’or que j’avais dérobées au Chaudron, bien des années auparavant. Elle me rappelait tant d’histoires, cette épée. Il y avait un peu de rouille sur sa lame et je la grattai soigneusement avec le couteau qui me servait à tailler mes plumes, puis la serrai longuement dans mes bras, m’imaginant que j’étais de nouveau jeune et assez fort pour la brandir. Moi ? Monter la garde ? En réalité, Sansum ne voulait pas que je monte la garde, mais plutôt que je me sacrifie comme un imbécile pendant qu’il s’enfuirait par la porte de derrière avec saint Tudwal et l’or du monastère. Mais si tel doit être mon destin, je ne me plaindrai pas. J’aimerais mieux mourir comme mon père l’épée à la main, même si mon bras est faible et ma lame émoussée. Ce n’était pas le destin que Merlin, ou Arthur, avait souhaité pour moi, mais c’est une bonne manière de mourir pour un soldat, et même si j’ai été moine durant des lustres, et chrétien depuis plus longtemps encore, dans mon âme pécheresse, je suis toujours un lancier de Mithra. Aussi je baisai mon Hywelbane, content de la revoir après tant d’années.

Je vais dorénavant écrire avec mon épée à côté de moi et j’espère avoir le temps de terminer cette histoire d’Arthur, mon seigneur, qui fut trahi, vilipendé et, après son départ, regretté comme nul autre homme ne le fut de toute l’histoire de la Bretagne.

 

*

 

Après que l’on m’eut tranché la main, je fus en proie à une fièvre, et quand je me réveillai, Ceinwyn était assise à mon chevet. Tout d’abord, je ne la reconnus pas, car ses cheveux étaient courts et blancs comme la cendre. Mais c’était ma Ceinwyn, elle était vivante, elle avait recouvré la santé, et quand elle vit la lumière dans mes yeux, elle se pencha et posa sa joue sur la mienne. Je passai le bras gauche autour de sa taille et découvris que je n’avais pas de main pour lui caresser le dos, seulement un moignon enveloppé dans un morceau de tissu ensanglanté. Je la sentais, et même elle me démangeait, mais en vérité, il n’y avait plus de main. On l’avait brûlée.

Une semaine plus tard, je fus baptisé dans l’Usk. C’est l’évêque Emrys qui accomplit le rite, et lorsqu’il m’eut immergé dans l’eau froide, Ceinwyn qui m’avait suivi sur la berge boueuse insista pour l’être aussi. « J’irai où va mon homme », dit-elle à Emrys, alors il croisa les mains de ma femme sur sa poitrine et il la plongea dans la rivière. Un chœur de femmes chanta pendant que l’on nous baptisait et, ce soir-là, vêtus de blanc, nous reçûmes pour la première fois le pain et le vin chrétiens. Après la messe, Morgane exhiba un parchemin sur lequel elle avait rédigé ma promesse d’obéissance à son mari dans la foi chrétienne, et réclama que je le signe.

« J’ai déjà donné ma parole.

— Tu signeras, Derfel, et jureras sur le crucifix. »

Je soupirai et signai. Les chrétiens, semblait-il, ne faisaient plus confiance aux anciens serments, mais exigeaient le parchemin et l’encre. Je reconnus ainsi que Sansum était mon seigneur et, lorsque j’eus écrit mon nom, Ceinwyn insista pour y ajouter le sien. Ainsi commença la seconde moitié de ma vie, au cours de laquelle je tins mon serment à Sansum, mais pas aussi bien que Morgane l’espérait. Si Sansum savait que j’ai écrit cette histoire, il interpréterait cela comme un manquement à ma promesse et me punirait, pourtant je m’en moque. J’ai commis beaucoup de péchés, mais je n’ai jamais manqué à ma parole.

Après mon baptême, je m’étais plus ou moins attendu à une convocation de Sansum, qui était resté chez le roi Meurig, dans le Gwent, mais le Seigneur des Souris garda simplement ma promesse écrite et n’exigea rien, pas même de l’argent. Pas sur le moment.

La cicatrisation de mon moignon fut lente, et mon insistance à m’exercer ne fit rien pour la hâter. Au combat, on passe le bras gauche dans les deux énarmes du bouclier et l’on saisit la poignée en bois, mais je n’avais plus de doigts pour le faire, aussi je fis remplacer les brides par des courroies pourvues de boucles que l’on pouvait attacher à mon avant-bras. Je n’étais pas aussi bien protégé, mais c’était mieux que pas de bouclier du tout, et lorsque je me fus accoutumé aux courroies, je m’exerçai à l’épée avec Galahad, Culhwch et Arthur. Je trouvai ce nouveau bouclier peu maniable, mais je pouvais tout de même continuer à me battre, même si après chaque assaut d’entraînement mon moignon saignait tant que Ceinwyn me grondait en changeant mon pansement.

La pleine lune arriva et je n’apportai ni épée ni victime à Nant Dduu. Je m’attendais à ce que Nimue se venge, mais rien ne vint. La fête de Beltain eut lieu une semaine après la pleine lune ; Ceinwyn et moi, obéissant aux ordres de Morgane, nous n’éteignîmes pas nos feux, et nous ne restâmes pas éveillés pour en allumer d’autres, mais Culhwch vint nous voir le lendemain matin avec un tison de son nouveau feu qu’il jeta dans notre âtre. « Tu veux que je parte pour le Gwent, Derfel ? me demanda-t-il.

— Le Gwent ? Pourquoi ?

— Pour tuer ce petit crapaud, Sansum, je veux dire.

— Il ne me cause pas d’ennuis.

— Pourtant, il va le faire, grommela mon ami. Je n’arrive pas à t’imaginer chrétien. Tu te sens différent ?

— Non. »

Pauvre Culhwch. Il se réjouissait de voir Ceinwyn en bonne santé, mais haïssait le marché que nous avions passé avec Morgane. Il se demandait, comme beaucoup d’autres, pourquoi je ne trahissais pas ma promesse d’obéissance à Sansum, mais je craignais, si je le faisais, que la maladie resurgisse, aussi y demeurai-je fidèle. Avec le temps, cette obéissance devint une habitude, si bien qu’après la mort de Ceinwyn, je découvris que je n’avais pas envie de me libérer de mon serment, même si la disparition de ma femme desserrait l’emprise qu’il avait sur moi.

Mais en ce jour où le feu nouveau réchauffait les foyers refroidis, tout cela appartenait encore à un lointain avenir inconnu. Ce fut une belle journée de soleil et de floraison. Je me souviens que nous avions acheté des oisons au marché, ce matin-là, pensant que nos petits-enfants s’amuseraient à les voir grandir sur la petite mare, derrière notre maison ; ensuite, je me rendis en compagnie de Galahad à l’amphithéâtre où je m’exerçai de nouveau avec mon bouclier peu maniable. Nous étions les seuls lanciers présents, car la plupart des autres se remettaient encore d’une nuit de beuverie. « Les oisons, ce n’est pas une bonne idée, dit Galahad en frappant mon bouclier avec la hampe de sa lance.

— Pourquoi ça ?

— En grandissant, ils deviendront querelleurs.

— Tu veux rire. Ils deviendront un souper. »

Gwydre nous interrompit en apportant une convocation de son père, et nous revînmes en ville sans nous presser, pour apprendre qu’Arthur s’était rendu au palais d’Emrys. En chemise et pantalon de tartan, il était penché sur une grande table couverte de planures de bois où l’évêque avait dressé des listes de lanciers, d’armes et de bateaux. Arthur leva les yeux quand nous entrâmes et, durant un battement de cœur, il demeura silencieux, mais je me souviens que son visage à la barbe grise arborait une expression sinistre. Puis il dit seulement : « La guerre. »

Galahad se signa tandis que moi, encore habité par les anciennes coutumes, je touchai la garde d’Hywelbane. « La guerre ? demandai-je.

— Mordred marche sur nous, dit Arthur. Il vient nous attaquer ! Meurig lui a donné la permission de traverser le Gwent.

— Avec trois cent cinquante lanciers, nous a-t-on dit », ajouta Emrys.

Je crois encore, aujourd’hui, que c’est Sansum qui a persuadé Meurig de trahir Arthur. Je n’en ai pas la preuve et l’évêque l’a toujours nié, mais ce plan empeste la ruse du Seigneur des Souris. Il est vrai que Sansum nous avait avertis qu’une telle attaque était possible, mais il s’était toujours montré prudent dans ses trahisons, et si Arthur avait gagné la bataille que l’évêque espérait en secret voir mener à Isca, il aurait voulu lui soutirer une récompense. Il n’en attendait sûrement pas de Mordred, car son plan avantageait surtout Meurig. Que Mordred et Arthur se battent à mort, et Meurig pourrait s’emparer de la Dumnonie que le Seigneur des Souris gouvernerait en son nom.

Et Meurig voulait la Dumnonie. Il convoitait ses riches exploitations agricoles et ses villes fortunées, aussi favorisa-t-il la guerre, bien qu’il le niât énergiquement. Si Mordred voulait rendre visite à son oncle, disait-il, à quel titre aurait-il pu l’en empêcher ? Et si Mordred souhaitait s’entourer de trois cent cinquante lanciers, comment refuser à un roi de passer avec ses gardes ? Aussi donna-t-il à Mordred la permission qu’il désirait et, lorsque nous entendîmes parler pour la première fois de l’attaque, l’avant-garde de l’armée de Mordred avait déjà dépassé Glevum et ses cavaliers fonçaient vers nous à toute allure.

C’est donc par une traîtrise, et pour satisfaire l’ambition d’un roi faible, que la dernière guerre d’Arthur commença.

Nous étions prêts. Nous nous attendions depuis plusieurs semaines à cet assaut, et même si le moment choisi par Mordred nous surprit, nos plans étaient faits. Nous allions traverser la mer de Severn et marcher jusqu’à Durnovarie où nous espérions rejoindre les hommes de Sagramor. Nos forces ainsi réunies, nous suivrions l’ours d’Arthur vers le nord afin d’affronter Mordred à son retour de Silurie. Nous comptions nous battre, nous espérions gagner, et proclamer ensuite Gwydre roi de Dumnonie à Caer Cadarn. C’était la même vieille histoire : plus qu’une bataille et tout changerait.

On envoya des messagers sur la côte, demander que chaque bateau de pêche silurien cingle vers Isca, et tandis que les embarcations remontaient la rivière à la rame, aidées par la marée montante, nous préparâmes notre départ précipité. On aiguisa les épées et les lances, on polit les armures et on chargea la nourriture dans des paniers ou des sacs. On emballa les trésors des trois palais ainsi que les pièces de la trésorerie, puis on avertit les habitants qu’ils devaient se préparer à fuir vers l’ouest avant l’arrivée des hommes de Mordred.

Le lendemain matin, nous avions vingt-sept bateaux de pêche amarrés sous le pont romain d’Isca. Cent soixante-trois lanciers étaient prêts à embarquer et la plupart d’entre eux avaient une famille, mais tout ce monde trouva place dans les embarcations. Nous fûmes obligés de laisser nos montures, car Arthur avait découvert que les chevaux n’avaient pas le pied marin. Pendant que j’allais rendre visite à Nimue, il avait tenté d’en faire monter à bord d’un des bateaux, mais les animaux s’affolaient des vagues les plus douces, et l’un d’eux avait même tenté de s’enfuir en brisant la coque à coups de sabots, si bien que la veille de notre départ, nous les conduisîmes dans les pâturages d’une lointaine ferme et nous nous promîmes de revenir les chercher après que Gwydre aurait été couronné roi. Seule Morgane refusa de s’embarquer avec nous et partit rejoindre son époux dans le Gwent.

Nous commençâmes à charger les bateaux à l’aube. D’abord, nous plaçâmes l’or à fond de cale, et dessus nous empilâmes nos armures et les aliments, puis, sous un ciel gris, par un vent vif et frais, nous commençâmes à embarquer. La plupart des barques pouvaient transporter dix ou onze hommes, et une fois pleine, chacune d’elles gagnait le milieu de la rivière et y jetait l’ancre en attendant que la flotte tout entière puisse prendre le départ.

L’ennemi survint juste comme nous chargions le dernier bateau. C’était le plus grand de tous et il appartenait à Balig, le mari de ma sœur. Il y avait à bord Arthur, Guenièvre, Gwydre, Morwenna et ses enfants, Galahad, Taliesin, Ceinwyn et moi, ainsi que Culhwch, l’unique épouse qui lui restait et deux de ses fils. La bannière d’Arthur flottait à sa haute proue et l’étendard de Gwydre claquait à la poupe. Nous étions pleins d’entrain car nous partions afin de donner à Gwydre son royaume, mais juste au moment où Balig criait à Hygwydd de se hâter d’embarquer, l’ennemi arriva.

Le serviteur d’Arthur ramenait du palais le dernier ballot et il n’était qu’à cinquante pas de la rive lorsqu’il regarda derrière lui et vit les cavaliers surgir des portes de la ville. À peine eut-il le temps de lâcher son paquet et de tirer à demi son épée que déjà les chevaux l’avaient rejoint et qu’une lance lui transperçait le cou.

Balig jeta la passerelle par-dessus bord, tira un couteau de sa ceinture et coupa la corde d’amarrage de la poupe. Son homme d’équipage saxon rejeta celle de la proue et notre bateau s’engagea dans le courant au moment où les cavaliers atteignaient la berge. Arthur, debout, horrifié, regardait mourir Hygwydd, mais moi, j’observais l’amphithéâtre où une horde était apparue.

Ce n’était pas l’armée de Mordred, mais un essaim de déments, une ruée tâtonnante d’êtres voûtés, estropiés et amers qui déferlaient autour des arches de pierre et descendaient vers la rivière en poussant de petits glapissements. Ils étaient en haillons, les cheveux hérissés, les yeux pleins d’une rage fanatique. C’était l’armée démente de Nimue. La plupart n’avaient pour toute arme que des bâtons, même si quelques-uns brandissaient une lance. Les cavaliers, eux, portaient lances et boucliers, et ils n’étaient pas fous. C’étaient les fugitifs des Bloodshields de Diwrnach qui arboraient encore leurs capes noires en lambeaux et leurs boucliers barbouillés de sang, et les déments se dispersèrent devant eux lorsqu’ils éperonnèrent leurs montures pour demeurer à notre hauteur, sur la rive.

Certains fous tombèrent sous les sabots des chevaux, mais des douzaines d’autres plongèrent dans la rivière et nagèrent maladroitement vers nos barques. Arthur cria aux bateliers de couper les cordes de leurs ancres ; une par une les embarcations lourdement chargées se libérèrent et commencèrent à dériver. Certains équipages rechignèrent à abandonner les lourdes pierres qui leur servaient d’ancres et essayèrent de les hisser à bord, si bien que les bateaux qui partaient heurtèrent les leurs tandis que les tristes déments battaient désespérément des pieds et des jambes pour nous rejoindre. « Les hampes ! » cria Arthur et, saisissant sa lance, il la retourna et frappa un nageur à la tête.

« Les rames ! » hurla Balig, mais personne ne l’écoutait. Nous étions trop occupés à repousser les fous. De mon unique main, je m’efforçai d’en couler le plus possible, mais l’un d’eux saisit la hampe de ma lance et faillit me précipiter dans l’eau. Je lui abandonnai l’arme, tirai Hywelbane et frappai. Le premier sang coula sur la rivière.

Les disciples hululants et cabriolants de Nimue pullulaient maintenant sur la berge. Certains nous jetaient des lances, mais la plupart se contentaient de crier leur haine alors que d’autres s’engageaient dans la rivière à la suite des nageurs. Un homme aux longs cheveux, doté d’un bec de lièvre, tenta de se hisser à la poupe, mais le marinier saxon lui donna un coup de pied dans la figure, puis un second jusqu’à ce qu’il retombe à l’eau. Taliesin avait trouvé une lance et repoussait d’autres nageurs de sa pointe. En aval, une de nos embarcations s’échoua sur la rive boueuse et l’équipage tenta désespérément de se dégager, mais les lanciers de Nimue réussirent à grimper à bord. Ils étaient menés par des Bloodshields et ces tueurs expérimentés chargèrent à la lance d’un bout à l’autre du pont en poussant des cris de défi. C’était le bateau d’Emrys et je vis l’évêque aux cheveux blancs tenter de parer le coup avec son épée, mais il fut tué et une douzaine de fous suivirent les Bloodshields sur le pont glissant. La femme de l’évêque n’eut que le temps de pousser un cri, puis fut sauvagement massacrée. Les couteaux tailladaient et lacéraient et éventraient, le sang dégoulinait des dalots pour s’écouler vers la mer. Un homme portant une tunique en peau de daim se posta en équilibre à la poupe du bateau capturé et, lorsque nous passâmes, sauta vers notre plat-bord. Gwydre leva sa lance et l’homme hurla en s’empalant sur la longue lame. Je vois encore ses mains empoigner la hampe tandis que son corps se tordait sur la pointe, puis Gwydre lâcha l’arme, laissant l’homme tomber dans la rivière, et il tira son épée. Sa mère lardait de coups de lance les bras qui battaient l’eau. Des mains s’accrochèrent à notre plat-bord et nous les piétinâmes, ou les tranchâmes avec nos épées et, peu à peu, notre bateau s’éloigna des assaillants. Toutes les embarcations dérivaient maintenant, certaines par le travers, d’autres la poupe la première, les bateliers sacraient et s’injuriaient, ou criaient aux lanciers de ramer. Une lance jetée de la rive heurta notre coque, puis les premières flèches volèrent. C’étaient des traits de chasseurs, qui bourdonnaient en filant au-dessus de nos têtes.

« Les boucliers », cria Arthur et nous formâmes un mur le long du plat-bord. Les flèches s’y fichèrent. J’étais accroupi à côté de Balig, nous protégeant tous deux, et mon bouclier frissonnait lorsque les petits traits faisaient mouche.

Nous fûmes sauvés par le rapide courant de la rivière et la marée descendante qui emportèrent vers l’aval, hors de portée des archers, notre masse d’embarcations enchevêtrées. La horde en folie nous suivit, mais à l’ouest de l’amphithéâtre s’étendait une tourbière qui ralentit nos poursuivants et nous laissa le temps de mettre enfin de l’ordre dans notre chaos. Les cris des assaillants nous atteignaient encore, leurs corps dérivaient dans le courant à côté de notre petite flotte, mais nous avions des rames et nous pûmes faire pivoter le bateau et suivre les autres vers la mer. Nos deux bannières étaient lardées de flèches.

« Qui sont ces gens ? demanda Arthur.

— L’armée de Nimue », dis-je amèrement. Ses sortilèges ayant échoué grâce à Morgane, elle avait lâché sur nous ses disciples pour qu’ils s’emparent d’Excalibur et de Gwydre.

« Pourquoi ne les avons-nous pas vus arriver ? s’enquit Arthur.

— Un sort de dissimulation, Seigneur ? » suggéra Taliesin, et je me souvins combien de fois Nimue avait utilisé ce genre d’enchantement.

Galahad se railla de l’explication païenne. « Ils ont marché de nuit et se sont cachés dans les bois jusqu’à ce que nous soyons prêts, et nous étions trop affairés pour les chercher.

— La chienne combattra peut-être Mordred à notre place, suggéra Culhwch.

— Non, elle va se joindre à lui », dis-je.

Mais Nimue n’en avait pas terminé avec nous. Des cavaliers galopaient sur la route qui longeait le marais, et une horde de piétons les suivait. La rivière ne coulait pas droit à la mer, mais dessinait de larges méandres dans la plaine côtière, et je savais qu’à chaque tournant vers l’ouest, l’ennemi nous attendrait en embuscade.

C’est ce qu’ils firent, en effet, mais la rivière s’élargissait en approchant de la mer et l’eau coulait plus vite, si bien qu’à chaque coude nous passâmes devant eux en toute sécurité. Les cavaliers nous criaient des injures, puis galopaient pour rejoindre la prochaine boucle d’où ils pourraient nous jeter leurs lances et leurs flèches. Juste avant l’estuaire, la rivière coulait en ligne droite, et l’ennemi resta tout du long à notre hauteur ; c’est alors que j’aperçus Nimue en personne. Elle montait un cheval blanc, portait une robe blanche et avait tondu ses cheveux sur le devant, comme un druide. Elle tenait le bâton de Merlin et avait ceint une épée. Elle nous cria quelque chose, mais le vent emporta ses paroles, puis la rivière tourna vers l’est et nous nous éloignâmes d’elle entre les rives couvertes de roseaux. Nimue éperonna sa monture vers l’estuaire du fleuve.

« Nous sommes saufs maintenant », dit Arthur. Nous sentions la mer, des goélands criaient au-dessus de nos têtes, devant nous grondait le bruit éternel des vagues se brisant sur le rivage ; Balig et le Saxon attachèrent la vergue de la voile aux cordes qui la hisseraient en haut du mât. Il restait un dernier long méandre à parcourir, une dernière rencontre avec les cavaliers de Nimue à endurer, puis nous serions entraînés sur la mer de Severn.

« Combien d’hommes avons-nous perdus ? » s’enquit Arthur, et nous échangeâmes des questions et des réponses avec le reste de la flotte. Deux hommes avaient été abattus par des flèches et l’équipage du seul bâtiment échoué avait été massacré, mais la plus grande partie de notre petite armée était sauve. « Pauvre Emrys, dit Arthur, qui demeura silencieux un moment, puis repoussa cette mélancolie. Dans trois jours, nous aurons rejoint Sagramor. » Il lui avait envoyé des messagers et, maintenant que l’armée de Mordred avait quitté la Dumnonie, plus rien ne devait empêcher le Numide de nous rejoindre. « Nous aurons une armée, peu nombreuse mais expérimentée. Assez pour vaincre Mordred, et nous pourrons tout recommencer à zéro.

— Recommencer à zéro ? demandai-je.

— Repousser une fois de plus Cerdic et fourrer un peu de bon sens dans la tête de Meurig. » Il rit amèrement. « Il y a toujours une autre bataille à mener. L’as-tu remarqué ? Lorsqu’on croit que tout est réglé, les choses recommencent à bouillonner. » Il toucha la garde d’Excalibur. « Pauvre Hygwydd. Il va me manquer.

— Moi aussi, je vais te manquer, Seigneur », dis-je, tristement. Le moignon de mon poignet gauche m’élançait douloureusement et ma main absente me démangeait sans que je puisse expliquer pourquoi ; la sensation était si réelle que j’essayais sans cesse de me gratter.

« Tu vas me manquer ? demanda Arthur, un sourcil levé.

— Quand Sansum me convoquera.

— Ah ! Le Seigneur des Souris. » Il m’offrit un bref sourire. « Je pense qu’il voudra revenir en Dumnonie, n’est-ce pas ? Je ne le vois pas monter en grade dans le Gwent, ils ont déjà beaucoup trop d’évêques. Non, il voudra revenir et la pauvre Morgane voudra récupérer le sanctuaire d’Ynys Wydryn, aussi je conclurai un marché avec eux. Ton âme contre la promesse que fera Gwydre de les laisser vivre en Dumnonie. Ne t’inquiète pas, Derfel, nous te libérerons de ton serment. » Il me donna une grande claque sur l’épaule, puis alla rejoindre Guenièvre assise au pied du mât.

Balig arracha une flèche de l’étambot, en détacha la pointe en fer qu’il fourra dans une poche où il conservait divers biens précieux, puis jeta la hampe emplumée dans la mer. « J’aime pas ça », dit-il en désignant l’ouest d’un coup de menton. Je me retournai et vis qu’il y avait des nuages noirs loin en mer. « De la pluie ? demandai-je.

— Ça peut aussi être un coup d’vent, dit-il d’un ton inquiétant, puis il cracha par-dessus bord pour conjurer le mauvais sort. Mais on n’a pas b’soin d’aller en haute mer. On y échappera p’t’êt’. » Il se pencha sur le gouvernail tandis que le bateau franchissait le dernier grand méandre de la rivière. Nous cinglions plein ouest maintenant, face au vent, et la surface de l’eau clapotait de petites vagues crêtées de blanc qui se brisaient sur notre proue et éclaboussaient tout le pont. La voile n’était pas encore hissée. « Souquez ferme ! » cria Balig à nos rameurs. Le Saxon avait un aviron, Galahad aussi, Taliesin et Culhwch occupaient le banc du milieu, et les deux fils de Culhwch complétaient l’équipage. Les six hommes ramaient de toutes leurs forces, luttant contre le vent, mais le courant et la marée nous aidaient encore. À la proue et à la poupe, les bannières claquaient, faisant cliqueter les flèches fichées dedans.

Devant nous, la rivière obliquait vers le sud et c’était là que Balig hisserait la voile afin que le vent nous aide à descendre le long estuaire. Une fois en mer, il nous faudrait demeurer à l’intérieur du chenal marqué par des brins d’osier, qui courait entre de vastes bas-fonds, jusqu’à ce que nous atteignions les eaux profondes où nous pourrions nous détourner du vent pour rejoindre à toute allure la côte dumnonienne. « La traversée s’ra pas trop longue, dit Balig pour nous réconforter, en jetant un coup d’œil aux nuages, non pas trop. On devrait le prendre d’vitesse, ce p’tit vent.

— Les bateaux arriveront-ils à rester ensemble ? demandai-je.

— Plus ou moins. » Il montra d’un brusque mouvement de tête l’embarcation qui était juste devant nous. « Ce vieux baquet, y va rester à la traîne. Comme une truie pleine, qu’il avance, mais plus ou moins, plus ou moins. »

Les cavaliers de Nimue nous attendaient sur une langue de terre, là où la rivière tournait en direction de la mer. En nous voyant arriver, elle sortit de la masse des lanciers et poussa son cheval dans l’eau peu profonde. Comme nous nous rapprochions, je vis deux de ses hommes traîner un captif dans les bas-fonds, à côté d’elle.

D’abord, je crus qu’il s’agissait d’un de nos hommes fait prisonnier sur le bateau échoué, puis je vis que c’était Merlin. On lui avait coupé la barbe et sa chevelure blanche ébouriffée flottait comme une loque dans le vent de plus en plus fort. Le druide regardait dans notre direction, sans nous voir, mais j’aurais juré qu’il souriait. Je ne distinguais pas bien son visage, car la distance était trop grande, mais je jure qu’il souriait tandis qu’on le poussait dans les petites vagues. Il savait ce qui allait arriver.

Et soudain, moi aussi, pourtant je ne pouvais rien faire pour l’empêcher.

Nimue avait été apportée par la mer, tout enfant. Les trafiquants d’esclaves qui l’avaient capturée en Démétie traversaient la mer de Severn pour se rendre en Dumnonie, mais une tempête les surprit en cours de route et tous les vaisseaux sombrèrent. Les équipages et leurs captifs se noyèrent, tous sauf Nimue qui vint s’échouer sur le rivage rocheux d’Ynys Wair. Merlin, qui secourut l’enfant, l’appela Vivienne parce que Manawydan, le Dieu de la mer, devait l’aimer, et Vivienne est un nom qui lui appartient. Nimue, la revêche, refusa toujours de le porter, mais je m’en souvins alors, ainsi que de cet amour que Manawydan lui portait, et je compris qu’elle allait requérir l’aide du dieu pour nous infliger une terrible malédiction.

« Qu’est-ce qu’elle fait ? demanda Arthur.

— Ne regarde pas, Seigneur. »

Les deux lanciers étaient retournés sur la berge, laissant Merlin aveugle seul à côté du cheval de Nimue. Il ne tenta par de s’échapper. Il demeura simplement là, ses cheveux blancs flottant au vent, tandis que Nimue tirait un poignard de son ceinturon. C’était le Couteau de Laufrodedd.

« Non ! » cria Arthur, mais le vent renvoya sa protestation dans le sillage de nos bateaux, vers les marais et les roseaux, vers nulle part. « Non ! » cria-t-il de nouveau.

Nimue pointa son bâton de druide vers l’ouest, renversa la tête en arrière et hurla. Merlin ne bougeait toujours pas. Notre flotte défila devant eux, chaque embarcation passant près des bas-fonds où se tenait le cheval de Nimue, avant d’être emportée brusquement vers le sud lorsque les marins hissaient les voiles. Nimue attendit que notre bateau où flottaient les étendards se rapproche, puis baissa la tête et nous regarda de son œil unique. Elle souriait, et Merlin aussi. J’étais maintenant assez près pour voir distinctement qu’il souriait toujours tandis que Nimue se penchait sur sa selle, le couteau brandi. Un unique coup suffit.

Et la longue chevelure blanche, la longue robe blanche de Merlin, devinrent rouges.

Nimue hurla de nouveau. Je l’avais entendue crier maintes fois, mais jamais ainsi, car dans ce hurlement, l’angoisse se mêlait au triomphe. Elle avait lancé son sortilège.

Elle se laissa glisser de sa selle et lâcha le bâton. La mort de Merlin avait dû être prompte, mais son corps tressautait encore dans les petites vagues et durant quelques battements de cœur, on eut l’impression que Nimue luttait avec son cadavre. Le sang avait éclaboussé sa robe et tout ce rouge fut aussitôt dilué par la mer lorsqu’elle poussa avec peine le corps de Merlin dans l’eau. Pour finir, enfin libéré de la vase, il flotta et elle l’envoya loin dans le courant, comme un cadeau à son seigneur, Manawydan.

Et quel don elle lui faisait là. Le corps d’un druide est une magie puissante, la plus puissante que puisse posséder ce pauvre monde, et Merlin était le dernier, le plus grand des druides. D’autres vinrent après lui, bien sûr, mais aucun n’avait ses connaissances, aucun n’avait sa sagesse, et aucun n’avait la moitié de sa puissance. Et tout cela était maintenant sacrifié pour un unique sortilège, une seule incantation destinée au Dieu de la mer qui avait sauvé Nimue, tant d’années auparavant.

Elle reprit le bâton qui flottait sur les vagues et le pointa sur notre bateau, puis éclata de rire. Rejetant la tête en arrière, elle rit comme les fous qui l’avaient suivie depuis les montagnes jusqu’à cette mise à mort, dans les eaux. « Vous survivrez ! lança-t-elle à notre bateau, et nous nous rencontrerons de nouveau ! »

Balig hissa la voile, le vent s’en empara et nous lança dans l’estuaire. Silencieux, nous fixions toujours Nimue, et l’endroit où, blanc dans le tumulte des vagues grises, le corps de Merlin nous suivait vers les grands fonds de l’océan.

Où Manawydan nous attendait.

 

*

 

Nous tournâmes notre bateau vers le sud-est, le vent s’engouffra dans la voile loqueteuse, et mon estomac se souleva à chaque coup de roulis.

Balig luttait avec le gouvernail. Nous avions rentré les rames, laissant la brise faire tout le travail, pourtant la forte marée jouait contre nous et ne cessait de repousser la proue ronde du bateau vers le sud ; alors, le vent faisait battre la voile et le gouvernail ployait de façon alarmante, mais lentement l’embarcation reprenait sa route, la voile claquait comme un grand fouet en se gonflant de nouveau, l’avant plongeait dans le creux d’une vague, mon estomac se soulevait et la bile me montait à la gorge.

Le ciel s’obscurcit. Balig leva les yeux vers les nuages, cracha, puis tira de nouveau sur l’aviron-gouvernail. La première averse survint, de grosses gouttes qui éclaboussaient le pont et noircissaient la voile sale. « Rentrez ces bannières ! » cria Balig. Galahad ferla celle de l’avant pendant que je luttais pour détacher celle de l’arrière. Gwydre m’aida à la descendre et perdit l’équilibre lorsque le bateau bascula sur la crête d’une vague. Il tomba contre le plat-bord tandis que l’eau passait par-dessus la proue. « Écopez ! cria Balig. Écopez ! »

Le vent devenait plus fort. Je vomis par-dessus la hanche du bateau, puis relevai la tête pour voir le reste de la flotte lancé dans un cauchemar gris d’eau tourmentée et d’embruns volant. J’entendis un craquement au-dessus de moi et, levant les yeux, vis que notre voile s’était fendue en deux. Balig jura. Derrière nous, le rivage n’était plus qu’une ligne sombre tandis que, plus loin, éclairées par le soleil, les collines de Silurie verdoyaient ; autour de nous, tout n’était que ténèbres trempées et inquiétantes.

« Écopez ! » cria de nouveau Balig, et ceux qui étaient dans le ventre du bateau se servirent de leur casques pour recueillir l’eau qui menaçait notre cargaison d’objets précieux, d’armures et de vivres.

Puis la tempête éclata. Jusqu’alors, nous n’avions souffert que de ses effets avant-coureurs, mais maintenant le vent hululait sur la mer, la pluie cinglante frappait dru l’écume des vagues blanchies. Je perdis de vue les autres bateaux, tant l’averse était dense, et le ciel obscur. Le rivage disparut ; tout ce que je pouvais distinguer, c’était un cauchemar de vagues courtes, hautes, crêtées de blanc, dont l’eau volait pour tremper notre embarcation. La voile se flagella elle-même jusqu’à se mettre en lambeaux qui flottèrent de l’espar comme des bannières déchirées. Le tonnerre déchira le ciel, le bateau dégringola de la crête d’une vague et je vis l’eau, verte et noire, monter pour se répandre d’un plat-bord à l’autre, mais je ne sais comment, Balig plongea la proue dans la vague et la mer hésita au bord de la coque, puis retomba tandis que nous nous élevions vers une autre crête torturée par le vent.

« Allégez le bateau ! » hurla Balig pour couvrir le hurlement de la tempête.

Nous jetâmes l’or par-dessus bord. Nous nous délestâmes du trésor d’Arthur, et du mien, et du trésor de Gwydre et de celui de Culhwch. Nous donnâmes tout à Manawydan, déversant pièces et coupes et chandeliers et lingots dans sa gueule avide, et il en voulait toujours plus, aussi nous jetâmes à la mer les paniers de nourriture et les bannières roulées, mais Arthur ne voulut pas lui donner son armure, ni moi la mienne, aussi nous les cachâmes ainsi que nos armes dans la minuscule cabine, sous la dunette, et à la place, nous lançâmes les pierres qui servaient de lest au navire. Nous titubions sur le pont incliné comme des hommes ivres, secoués par les vagues, nos pieds glissaient dans un mélange d’eau et de vomis. Morwenna étreignit ses enfants, Ceinwyn et Guenièvre priaient, Taliesin écopait avec un casque tandis que Culhwch et Galahad aidaient Balig et le Saxon à amener les restes de voilure. Ils la jetèrent par-dessus bord, espars et tout, mais attachèrent ces débris à une longue corde de crin qu’ils nouèrent autour de l’étambot, et la traction du mât et de la voile fit tourner la proue de notre bateau dans le vent, si bien que nous fîmes face à la tempête et chevauchâmes sa colère en grandes embardées qui nous faisaient piquer du nez.

« Jamais vu une tempête arriver aussi vite ! » me cria Balig. Pas étonnant. Elle n’avait rien d’ordinaire, c’était une fureur provoquée par la mort d’un druide, et le monde faisait hurler l’air et la mer dans nos oreilles, tandis que notre navire qui craquait s’élevait et retombait sous le talonnement des vagues. L’eau giclait entre les planches de la coque, mais nous recopions aussi vite qu’elle arrivait.

Puis, sur la crête d’une vague, j’aperçus les premières épaves et, un peu plus tard, un homme qui nageait. Il essaya d’appeler au secours, mais la mer l’engloutit. La destruction de la flotte d’Arthur avait commencé. Parfois, lorsqu’une rafale de vent passait et que l’atmosphère se dégageait momentanément, on pouvait voir des hommes écoper frénétiquement, et constater combien les navires avançaient pesamment dans le tumulte, puis la tempête nous aveuglait de nouveau, et quand elle s’éclaircissait encore, il n’y avait plus de bateau visible, juste des morceaux de bois qui surnageaient. La flotte d’Arthur, bâtiment après bâtiment, sombra, hommes et femmes furent noyés. Ceux qui portaient leur armure moururent les premiers.

Et pendant tout ce temps, juste derrière l’épave de notre voile secouée par la mer que notre bateau traînait péniblement, le corps de Merlin nous suivait. Il apparut peu après que nous eûmes jeté notre gréement par-dessus bord, puis demeura avec nous, et tantôt je voyais sa robe blanche sur la face d’une vague, tantôt elle disparaissait pour réapparaître bientôt dans le mouvement incessant de la mer. Une fois, ce fut comme s’il sortait la tête de l’eau, et je constatai que la plaie de sa gorge avait été lavée de son sang par l’océan et que ses orbites vides nous regardaient fixement, mais les vagues le recouvrirent et je touchai un clou de l’étambot en suppliant Manawydan de coucher le druide dans le lit de la mer. Prends-le, priai-je, et envoie son âme dans l’Autre Monde, mais chaque fois que je regardais, il était encore là, ses cheveux blancs déployés autour de sa tête sur la mer qui tourbillonnait.

Merlin était là, mais pas les bateaux. Nous scrutions au travers de la pluie et des embruns, mais il n’y avait plus autour de nous qu’un ciel noir bouillonnant, une mer grise à l’écume d’un blanc sale, des débris, et Merlin, toujours Merlin ; je pense qu’il nous protégeait, non parce qu’il voulait nous sauver, mais parce que Nimue n’en avait pas terminé avec nous. Notre bateau transportait ce qu’elle désirait le plus, aussi devait-il être préservé dans les eaux de Manawydan.

Merlin ne disparut que lorsque la tempête elle-même se fut évanouie. Je vis une dernière fois son visage, puis il s’enfonça. Durant un battement de cœur, une forme blanche aux bras étendus demeura au cœur vert d’une vague, puis plus rien. Avec sa disparition, la malveillance du vent mourut et la pluie cessa.

La mer nous secouait toujours, mais l’air s’éclaircit, les nuages passèrent du noir au gris, puis au blanc cassé, et tout autour de nous, la mer était vide. Il ne restait plus que notre bateau, et comme Arthur scrutait les vagues grises, je vis des larmes dans ses yeux. Ses hommes étaient partis retrouver Manawydan, jusqu’au dernier, tous ses hommes braves sauf nous, si peu nombreux. Toute une armée avait disparu.

Nous étions seuls.

Nous avons récupéré l’espar et ce qui restait de la voile, puis ramé durant le reste de cette longue journée. Tous eurent bientôt les mains couvertes de cloques ; j’essayai de prendre ma part de l’effort commun, mais je m’aperçus qu’une seule bonne main ne suffisait pas pour manœuvrer un aviron, aussi je restai assis à regarder pendant que nous souquions vers le sud, sur la mer houleuse et enfin, au soir, notre quille racla le sable et nous gagnâmes péniblement le rivage en emportant les quelques biens qui nous restaient encore.

Nous avons dormi dans les dunes et, au matin, ôté le sel de nos armes et compté les pièces que nous possédions encore. Balig et son Saxon, déclarant qu’ils pouvaient le sauver, restèrent sur leur bateau ; je donnai ma dernière pièce d’or à mon beau-frère et l’étreignis, puis nous suivîmes Arthur en direction du sud.

Nous découvrîmes un manoir dans les collines côtières, et il s’avéra que son seigneur était un partisan d’Arthur, aussi nous trouva-t-il un cheval de selle et deux mules. Nous tentâmes de les lui payer en or, mais il refusa. « Je souhaiterais avoir des lanciers à vous donner, mais hélas... » Il haussa les épaules. Il était pauvre et nous avait déjà offert plus qu’il ne pouvait se le permettre. Nous mangeâmes sa nourriture, séchâmes nos vêtements à son feu, puis nous nous assîmes sous le pommier en fleurs de son verger. « On ne peut plus combattre Mordred », dit Arthur d’un air désolé. Les forces du roi comptaient au moins trois cent cinquante lanciers, et les partisans de Nimue l’aideraient tant qu’il nous poursuivrait, alors que Sagramor disposait de moins de deux cents hommes. Nous avions perdu la guerre avant de l’avoir commencée.

« Œngus viendra à notre aide, suggéra Culhwch.

— Il essaiera, mais Meurig ne laissera jamais les Blackshields traverser le Gwent, dit Arthur.

— Et Cerdic viendra, ajouta calmement Galahad. Dès qu’il apprendra que Mordred nous a attaqués, il se mettra en marche. Et nous aurons deux cents hommes.

— Moins que cela, lança Arthur.

— Pour en combattre combien ? demanda Galahad. Quatre cents ? Cinq cents ? Et ceux d’entre nous qui survivraient, même s’ils remportaient la victoire, devraient encore affronter Cerdic.

— Alors, que faire ? » demanda Guenièvre.

Arthur sourit. « Aller en Armorique. Mordred ne nous poursuivra pas jusque-là.

— Il en serait capable, gronda Culhwch.

— Alors, nous affronterons ce problème quand il se présentera », conclut calmement Arthur. Il était amer, ce matin-là, mais pas en colère. Le destin lui avait porté un terrible coup, aussi tout ce qu’il pouvait faire, maintenant, c’était modifier ses plans et tenter de nous donner de l’espoir. Il nous rappela que le roi de Brocéliande, Budic, avait épousé sa sœur, Anna ; Arthur était certain qu’il nous donnerait asile. « Nous serons pauvres  – il offrit à Guenièvre un sourire d’excuses  –, mais nous aurons des amis qui nous aideront. Et Brocéliande accueillera les lanciers de Sagramor. Nous ne mourrons pas de faim. Et qui sait ? — il sourit à son fils — Mordred mourra peut-être et nous pourrons revenir.

— Mais Nimue nous poursuivra jusqu’au bout du monde », dis-je.

Arthur fit la grimace. « Alors, il faut tuer Nimue, mais ce problème aussi devra attendre son heure. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est voir comment nous pourrions atteindre Brocéliande.

— Allons   à   Camlann,   dis-je,   et   demandons   le   batelier Caddwg. »

Arthur me regarda, surpris par mon assurance. « Caddwg ?

— Merlin l’avait prévu, Seigneur, et me l’a dit. C’est le dernier don qu’il vous fait. »

Arthur ferma les yeux. Il pensait à Merlin et, durant un battement de cœur ou deux, je crus qu’il allait verser des larmes, mais il se contenta de frissonner. « Bien, allons à Camlann », dit-il en rouvrant les yeux.

Einion, fils de Culhwch, prit le cheval de selle et partit vers l’est, à la recherche de Sagramor. Il portait de nouveaux ordres : Sagramor devait trouver des bateaux et traverser la mer jusqu’en Armorique. Einion dirait au Numide que nous allions chercher notre propre embarcation à Camlann et que nous le retrouverions sur la côte de Brocéliande. Il n’y aurait pas de bataille contre Mordred, pas d’acclamation sur le Caer Cadarn, seulement une fuite ignominieuse sur la mer.

Quand Einion fut parti, nous mîmes Arthur-bach et la petite Seren sur l’une des mules, entassâmes nos armures sur l’autre, et marchâmes vers le sud. Mordred savait maintenant que nous nous étions enfuis de Silurie et l’armée de la Dumnonie devait déjà revenir sur ses pas. Les hommes de Nimue les accompagneraient sans doute et ils pouvaient suivre les routes romaines empierrées tandis que nous, nous devions traverser une campagne accidentée. Et donc, nous nous hâtâmes.

Ou plutôt, nous essayâmes de nous hâter, mais les collines étaient escarpées, la route longue. Ceinwyn était encore faible, les mules avançaient doucement et Culhwch boitait depuis la bataille contre Aelle, menée si longtemps auparavant, aux portes de Londres. Ce fut donc un lent voyage, mais Arthur semblait maintenant résigné à son sort. « Mordred ne sait pas où nous chercher, dit-il.

— Nimue, peut-être, suggérai-je. Qui sait ce qu’elle a forcé Merlin à dire, à la fin ? »

Un moment, Arthur resta silencieux. Nous traversions un bois éclatant de jacinthes, qu’adoucissaient les feuilles de la saison nouvelle. « Tu sais ce que je devrais faire ? finit-il par dire. Chercher un puits profond, jeter Excalibur dedans, puis la recouvrir de pierres afin que personne ne la retrouve entre maintenant et la fin du monde.

— Pourquoi ne le fais-tu pas, Seigneur ? »

Il sourit et toucha la garde de l’épée. « Je me suis habitué à elle. Je la garderai jusqu’à ce que je n’en aie plus besoin. Pourtant s’il le faut, je la cacherai. Mais pas encore. » Il continua à marcher, pensif. « Es-tu en colère contre moi ? demanda-t-il après une longue pause.

— Contre toi ? Pourquoi ? »

Il fit un geste qui semblait englober toute la Dumnonie, ce triste pays, si brillant de floraison et de feuilles nouvelles, par cette matinée de printemps. « Si j’étais resté, Derfel, si j’avais dépouillé Mordred de son pouvoir, cela ne serait pas arrivé. » Il paraissait plein de regrets.

« Mais qui aurait pu prévoir que Mordred deviendrait un guerrier ? Ou qu’il lèverait une armée ?

— C’est vrai, et quand j’ai accepté la proposition de Meurig, je pensais que Mordred croupirait à Durnovarie. Je croyais que son ivrognerie le tuerait ou qu’il périrait dans une querelle, qu’on lui plongerait un poignard dans le dos. Il n’aurait jamais dû être roi, mais qu’y pouvais-je ? J’avais juré à Uther de servir son fils. »

On en revenait encore à ce serment, et je me souvins du Haut Conseil, le dernier tenu en Bretagne, où Uther avait imaginé ce moyen d’introniser Mordred. À l’époque, c’était un vieillard obèse, malade, mourant, et moi, un enfant qui ne rêvait que de devenir lancier. Il y avait si longtemps de cela, et Nimue à l’époque était mon amie. « Uther n’avait même pas envie que tu lui prêtes ce serment, dis-je.

— Je sais, mais je l’ai fait. Un serment est un serment, et si nous en rompons un délibérément, c’est comme si nous les rompions tous. » De tout temps, bien plus de serments avaient été rompus que tenus, mais je ne dis rien. Arthur avait tenté de tenir parole et, pour lui, c’était un réconfort. Soudain, il sourit, ses pensées s’étaient tournées vers un sujet plus gai. « Il y a longtemps, j’ai vu une terre, en Brocéliande. C’était une vallée de la côte sud, je me souviens qu’il y avait là un ruisseau et des bouleaux, et je me suis dit que ce serait bon d’y construire un manoir et d’y mener sa vie. »

Je ris. Même maintenant, tout ce qu’il voulait c’était un manoir, des terres et des amis autour de lui ; les choses mêmes qu’il avait toujours désirées. Il n’avait jamais aimé les palais, le pouvoir ne lui apportait aucun plaisir, même s’il avait toujours aimé faire la guerre. Il essayait bien de nier cette inclination, mais c’était un combattant hors pair, il réfléchissait vite, ce qui faisait de lui un ennemi redoutable. C’était cela qui l’avait rendu célèbre, et lui avait permis d’unir les Bretons et de vaincre les Saxons, mais sa réserve par rapport au pouvoir et sa foi obstinée dans la bonté innée de l’homme, ainsi que son adhésion fervente à l’inviolabilité des serments, avaient laissé des hommes inférieurs à lui détruire son œuvre.

« Un manoir en bois, dit-il rêveusement, avec une galerie face à la mer. Guenièvre aime la mer. Le terrain descend en pente vers une plage, et nous pourrions construire notre manoir en haut, si bien que nuit et jour nous entendrions les vagues se briser sur le sable. Et derrière la maison, j’installerais une nouvelle forge.

— Afin de pouvoir torturer encore le métal ?

— Ars longa, vita brevis, dit-il d’un ton dégagé.

— C’est du latin ?

— Oui. L’art est long, la vie est brève. Je vais m’améliorer, Derfel. Mon défaut, c’est l’impatience. Je vois la forme que je désire et me hâte, mais le fer n’aime pas que l’on se presse. » Il posa une main sur mon bras bandé. « Toi et moi, Derfel, nous avons encore des années devant nous.

— Je l’espère, Seigneur.

— Des années et des années, des années pour vieillir, écouter des chansons, raconter des histoires.

— Et rêver de la Bretagne ?

— Nous l’avons bien servie. Maintenant, qu’elle se serve elle-même.

— Et si les Saïs reviennent et qu’on te rappelle, y retourneras-tu ? »

Il sourit. « Je pourrais retourner mettre Gwydre sur le trône, mais si tel n’est pas le cas, je suspendrai Excalibur au plus haut chevron du grand toit de mon manoir et laisserai les toiles d’araignées la recouvrir. Je regarderai la mer, je planterai mes récoltes et je verrai mes petits-enfants grandir. Nous avons joué notre rôle, Derfel, nous nous sommes acquittés de nos serments.

— De tous, sauf un. »

Il me regarda soudain avec intérêt. « Tu veux parler du serment de le secourir que j’avais prêté à Ban ? »

Je l’avais oublié celui-là, le seul qu’Arthur n’avait pas tenu, et depuis, son échec n’avait cessé de le poursuivre. Le royaume de Benoïc était tombé aux mains des Francs, et bien qu’Arthur y ait envoyé des hommes, il ne s’était pas rendu en personne au secours de Ban. Mais c’était de l’histoire ancienne et, quant à moi, je n’avais fait aucun reproche à Arthur. Il aurait bien voulu y aller, mais les Saxons d’Aelle nous harcelaient à l’époque, et il ne pouvait pas mener deux guerres à la fois. « Non, Seigneur, je pensais au serment que j’ai prêté à Sansum.

— Le Seigneur des Souris t’oubliera, dit Arthur d’un ton méprisant.

— Il n’oublie jamais rien, Seigneur.

— Alors, nous serons obligés de le faire changer d’avis, car je ne veux pas vieillir sans toi.

— Ni moi sans toi, Seigneur.

— Alors nous allons partir nous cacher, toi et moi, et les hommes demanderont : où est Arthur ? Où est Derfel ? Où est Galahad ? Et Ceinwyn ? Et personne ne le saura, car nous serons cachés sous les bouleaux, au bord de la mer. » Il rit, mais ce rêve, il le voyait tout proche maintenant, et l’espoir qu’il mettait en lui le soutint durant les dernières lieues de notre long voyage.

Cela nous prit quatre jours et autant de nuits, mais nous atteignîmes enfin le rivage sud de la Dumnonie. Nous avions longé l’immense lande et nous arrivâmes à l’océan par le chemin de crête d’une haute colline. Nous nous sommes arrêtés là pendant que la lumière du soir ruisselait sur nos épaules pour éclairer la large vallée de la rivière qui se déversait dans la mer. Nous étions à Camlann.

J’étais déjà venu à cet endroit, au sud de l’Isca dumnonienne, où les gens se tatouaient le visage de bleu. J’y avais servi le seigneur Owain et c’était sous ses ordres que j’avais participé au massacre, sur les plateaux tourbeux. Des années après, j’étais passé près de cette colline, quand avec Arthur je tentais de sauver la vie de Tristan ; nous avions échoué, Tristan était mort, et maintenant je revenais pour la troisième fois. C’était une aimable contrée, aussi belle que tant d’autres en Bretagne, bien que pour moi elle abritât des souvenirs de meurtre, aussi je me dis que je serais bien aise de la voir disparaître derrière le bateau de Caddwg.

Nous contemplions le but de notre voyage. L’Exe coulait vers la mer, mais avant d’y arriver, elle formait une vaste lagune séparée de l’océan par une étroite bande de terre. C’était l’endroit que les hommes appelaient Camlann, et à son extrémité, à peine visible de notre haut perchoir, les Romains avaient construit une petite forteresse. À l’intérieur de ses murailles, ils avaient élevé un grand cerceau de fer qui jadis, la nuit, abritait un feu avertissant les galères de la présence du dangereux banc de sable.

Nos regards se portèrent sur la lagune, la langue de terre et le rivage verdoyant. Pas d’ennemis en vue. Nulle lance ne réfléchissait le soleil du soir, nul cavalier ne parcourait les sentiers de la côte, nul lancier n’assombrissait l’étroite péninsule. Nous aurions pu être les seuls êtres vivants de tout l’univers.

« Tu connais Caddwg ? me demanda Arthur.

— Je l’ai rencontré une fois, Seigneur, il y a des années.

— Alors, trouve-le, Derfel, et dis-lui que nous l’attendons au fort. »

Je regardai la mer. Immense, vide, scintillante, c’était la voie qui nous emporterait loin de la Bretagne. Puis je descendis la colline pour rendre le voyage possible.

 

*

 

Les derniers rayons étincelants du soleil vespéral éclairèrent ma route jusqu’à la maison de Caddwg. Je demandai mon chemin et les gens me guidèrent vers une petite cabane, sur le rivage nord de Camlann, qui, comme le flux ne faisait que commencer, donnait sur une étendue scintillante de vase. Le bateau de Caddwg n’était pas dans l’eau, mais sur la terre ferme, la quille posée sur des rouleaux, la coque soutenue par des perches. « Prydwen, il s’appelle », dit Caddwg sans autre forme de salutation. Il m’avait aperçu, à côté de son embarcation et était sorti de sa maison. Le vieil homme à la barbe fournie, boucané par le soleil, portait un justaucorps de laine taché de poix où brillaient des écailles de poisson.

« C’est Merlin qui m’a envoyé, dis-je.

— J’pensais qu’il le ferait. L’a dit qu’il le ferait. I‘va venir ?

— Il est mort. »

Caddwg cracha. « J’aurais pas cru entendre ça un jour. » Il cracha une seconde fois. « J’pensais qu’la mort le louperait.

— Il a été tué. »

Caddwg se pencha et jeta des morceaux de bois dans un feu qui faisait bouillonner le contenu d’un pot. C’était de la poix et je vis que le batelier avait colmaté les fentes entre les planches du Prydwen. Le bateau était beau. On avait gratté sa coque et la nouvelle couche de bois brillait, formant contraste avec le noir du calfatage qui empêchait l’eau d’y pénétrer. Il avait une haute proue et un grand étambot ; un long mât tout neuf était posé sur des tréteaux, à côté de lui. « Vous en avez besoin, alors, dit Caddwg.

— Il y en a douze autres qui attendent au fort.

— Demain, à la même heure.

— Pas avant ? demandai-je, inquiet de ce retard.

— J’savais pas que vous alliez venir, grommela-t-il, et je peux le lancer qu’à marée haute, et ce sera demain matin. Mais d’ici que j’ai remonté le mât et envergué la voile, et p’is remonté l’gouvernail, la marée sera de nouveau basse. L’Prydwen sera à flot en milieu d’après-midi, ouais, et j’viendrai vous chercher aussi vite que je pourrais, mais qu’ça vous plaise ou non, la nuit sera presque tombée avant qu’on puisse partir. S’auriez dû m’faire prévenir avant. »

C’était vrai, aucun de nous n’aurait pensé à avertir Caddwg, car aucun de nous ne s’y connaissait en bateaux. Nous nous attendions à embarquer sur-le-champ, nous n’avions pas imaginé que l’embarcation serait en cale sèche. « Y en a-t-il d’autres ? demandai-je.

— Pas pour treize personnes, et aucun qui pourrait vous emmener où j’vais aller.

— En Brocéliande.

— J’vous emmènerai où Merlin m’a dit d’vous emmener », déclara obstinément Caddwg, puis il contourna à pas lourds la proue du Prydwen et montra du doigt une pierre grise grosse comme une pomme. Elle n’avait rien de remarquable, sauf qu’on l’avait habilement insérée dans l’étrave, où le chêne l’enrobait comme une pierre précieuse enchâssée dans une monture. « I’m’a donné ce bout de roche. Une pierre de spectre, que c’est.

— Une pierre de spectre ? » Je n’avais jamais entendu parler d’une chose pareille.

« Elle emmènera Arthur où Merlin veut qu’il aille, et rien d’autre pourra l’faire. Et aucun autre bateau peut l’emmener, que çui que Merlin a baptisé. » Prydwen signifiait Bretagne. « Arthur est avec vous ? me demanda Caddwg, soudain inquiet.

— Oui.

— Alors, j’apporterai l’or aussi.

— L’or ?

— L’vieux l’a laissé pour Arthur. L’a pensé qu’il en aurait besoin. Me servirait à rien. On attrape pas l’poisson avec de l’or. J’ai acheté une nouvelle voile, c’est Merlin qui m’a dit d’le faire, aussi pour ça, i’m’a donné l’or, mais l’or attrape pas l’poisson. Il attrape les femmes, mais pas l’poisson. » Il gloussa.

Je levai les yeux vers le bateau échoué. « Tu as besoin d’aide ? » demandai-je.

Caddwg eut un rire sans joie. « Et comment que vous pourriez m’aider ? Vous et votre bras raccourci ? Vous pourriez calfater un bateau ? Vous pourriez mettre un mât dans son emplanture, ou enverguer une voile ? » Il cracha. « J’ai qu’à siffler et j’vais avoir une douzaine d’hommes pour m’aider. Vous nous entendrez chanter demain matin, c’qui voudra dire qu’on est en train de l’faire rouler pour le mettre à l’eau. Demain soir, j’irai vous chercher au fort. » Il me salua d’un signe de tête, me tourna le dos et retourna dans sa cabane.

J’allai rejoindre Arthur. Il faisait nuit et toutes les étoiles du paradis piquetaient le ciel. La lune dessinait une longue traînée chatoyante sur la mer et éclairait les murs écroulés du petit fort où nous allions être obligés d’attendre le Prydwen.

Nous allions passer un dernier jour en Bretagne, pensai-je. Une dernière nuit et un dernier jour, puis nous pourrions voguer avec Arthur dans la voie tracée par la lune, et la Bretagne ne serait plus qu’un souvenir.

 

*

 

Le vent de la nuit soufflait doucement par le mur délabré du fort. Les vestiges rouilles de l’ancien phare pendaient, de travers, en haut de leur mât décoloré, les vaguelettes se brisaient sur la longue plage, la lune s’abandonna lentement à l’étreinte de la mer et l’obscurité s’épaissit.

Nous avons dormi à l’abri précaire des remparts. Les Romains les avaient élevés en sable, puis avaient recouvert ce talus de mottes de terre plantées de salicorne et l’avaient couronné d’une palissade. Les murs n’avaient jamais été très solides, même à l’époque de leur construction, car le fort n’était qu’un poste d’observation où le petit détachement qui entretenait le feu du phare pouvait se protéger des vents marins. La palissade était presque pourrie, la pluie et le vent avaient érodé la muraille de sable, mais dans certains endroits, elle mesurait encore presque trois coudées de haut.

Le jour se leva, ensoleillé, et nous vîmes quelques petits bateaux de pêche prendre la mer. Leur départ ne laissait que le Prydwen au bord de la lagune. Arthur-bach et Seren jouèrent sur le sable, là où il n’y avait pas de brisants, pendant que Galahad et le seul fils qui restait à Culhwch remontaient la côte pour trouver de la nourriture. Ils revinrent avec du pain, du poisson séché et un seau de lait encore tiède. Nous étions tous étrangement heureux ce matin-là. Je me souviens que nous avons ri en regardant Seren rouler du haut d’une dune, et acclamé Arthur-bach lorsqu’il arracha des hauts-fonds un gros bouquet d’algues qu’il remonta sur le sable. L’énorme masse verte devait peser aussi lourd que lui, mais il parvint néanmoins à la traîner et à la tirer jusqu’à la muraille délabrée du fort. Gwydre et moi applaudîmes ses efforts, et ensuite, nous nous mîmes à parler. « S’il est écrit que je serai pas roi, dit Gwydre, qu’il en soit ainsi.

— Le destin est inexorable. » Comme il me regardait d’un air perplexe, je souris. « C’était l’un des adages favoris de Merlin. Ça et « Ne sois pas absurde, Derfel ». J’étais toujours absurde pour lui.

— Je suis sûr que tu ne l’étais pas, dit-il, loyal.

— Nous l’étions tous. Sauf, peut-être, Nimue et Morgane. Nous manquions simplement d’intelligence. Ta mère, sans doute pas, mais elle et lui n’étaient pas vraiment amis.

— J’aurais bien voulu le connaître mieux.

— Quand tu seras âgé, Gwydre, tu pourras toujours dire que tu as rencontré Merlin.

— Personne ne me croira.

— Oui, c’est probable. Et, le temps que tu vieillisses, on aura probablement inventé de nouvelles histoires sur lui. Et sur ton père aussi. » Je lançai un fragment de coquillage sur la façade du fort. De l’autre côté de l’eau, me parvint un chant d’hommes plein de vigueur, et je compris qu’on lançait le Prydwen. Il n’y en a plus pour longtemps, me dis-je. « Peut-être que personne ne saura jamais la vérité.

— La vérité ? demanda Gwydre.

— Sur ton père, ou sur Merlin. » Il y avait déjà des chansons qui attribuaient à Meurig la victoire du Mynydd Baddon, et beaucoup d’entre elles célébraient Lancelot plus qu’Arthur. Je cherchai Taliesin des yeux, me demandai s’il corrigerait ces ballades. Ce matin-là, le barde nous avait dit qu’il n’avait pas l’intention de traverser la mer avec nous, mais souhaitait retourner à pied en Silurie ou au Powys ; je pense qu’il ne nous avait accompagnés que pour s’entretenir avec Arthur et apprendre de lui l’histoire de sa vie. Peut-être le barde avait-il vu l’avenir et était-il venu pour le voir s’accomplir, mais quelles que fussent ses raisons, il était en train de parler avec Arthur lorsque celui-ci le quitta soudain pour se précipiter sur la rive de la lagune. Il resta là un long moment, à regarder attentivement vers le nord. Puis, il se retourna, courut vers la plus haute dune qu’il escalada et, de là-haut, il scruta de nouveau le nord.

« Derfel ! cria-t-il, Derfel ! » Je dévalai la façade du fort, traversai la plage en courant et gravis la dune. « Que vois-tu ? » me demanda-t-il.

Je regardai vers le nord, par-delà la lagune qui scintillait. Je vis le Prydwen à mi-chemin de son lancer, les feux sur lesquels on évaporait l’eau de mer pour recueillir le sel et on fumait les prises du jour, et aussi les filets des pêcheurs suspendus à des perches plantées dans le sable, puis j’aperçus les cavaliers.

La lumière du soleil se refléta sur la pointe d’une lance, puis d’une autre, et soudain je vis une vingtaine d’hommes, peut-être plus, sur une route qui menait à l’intérieur des terres. « Cachons-nous ! » cria Arthur, et nous dévalâmes la dune, nous attrapâmes Seren et Arthur-bach au passage, et nous nous accroupîmes comme des coupables derrière les remparts croulants du fort.

« Ils ont dû nous voir. Seigneur, dis-je.

— Peut-être pas.

— Combien sont-ils ? demanda Culhwch.

— Vingt ? Trente ? estima Arthur. Peut-être plus. Ils sortaient d’un bois. Il pourrait y en avoir une centaine. »

J’entendis un doux raclement et, me retournant, je vis que Culhwch avait tiré son épée. Il me fit un grand sourire. « Même s’ils sont deux cents, je m’en moque, Derfel, ils ne me couperont pas la barbe.

— Pourquoi voudraient-ils ta barbe ? demanda Galahad. Puante et pleine de poux. »

Culhwch éclata de rire. Il se plaisait à taquiner Galahad, qui le lui rendait bien, et il cherchait encore sa réplique lorsque Arthur, relevant la tête avec prudence, observa l’approche des lanciers. Il se figea, et cette immobilité, ce silence, nous rassurèrent, puis soudain il se redressa et fit de grands signes. « C’est Sagramor ! nous cria-t-il, exultant de joie. C’est Sagramor ! » répéta-t-il, et il était si excité qu’Arthur-bach reprit sa joyeuse exclamation. « C’est Sagramor ! » cria le petit garçon, et nous escaladâmes le rempart pour voir le sinistre drapeau noir de Sagramor flotter en haut d’une hampe de lance que couronnait un crâne. Le Numide, coiffé de son casque noir conique, venait en tête et, apercevant Arthur, il éperonna son cheval pour traverser la plage. Arthur courut l’accueillir, Sagramor sauta de sa selle, tomba à genoux et saisit son ami par la taille.

« Seigneur ! Seigneur ! Je croyais ne plus jamais te revoir. » C’était là une manifestation de sentiments bien rare chez lui.

Arthur le releva, puis le serra dans ses bras. « Nous devions vous retrouver en Brocéliande, mon ami.

— En Brocéliande ? » dit Sagramor, puis il cracha. « Je déteste la mer. » Il y avait des larmes sur son visage noir et je me souvins qu’il m’avait expliqué, un jour, pourquoi il suivait Arthur : « Parce que quand je n’avais rien, il m’a tout donné. » Sagramor n’était pas venu ici parce qu’il rechignait à s’embarquer, mais parce qu’Arthur avait besoin d’aide.

Le Numide avait amené quatre-vingt-trois hommes, et Einion, le fils de Culhwch, était avec eux. « Je n’ai trouvé que quatre-vingt-douze chevaux, Seigneur. Il m’a fallu des mois pour les rassembler. » Il avait espéré distancer les forces de Mordred et conduire tous ses hommes sains et saufs en Silurie, mais avait dû se contenter d’en amener autant qu’il pouvait jusqu’à cette langue de sable entre la lagune et l’océan. Certains des chevaux s’étaient écroulés en cours de route, mais quatre-vingt-trois avaient survécu.

« Où sont tes autres hommes ? demanda Arthur.

— Ils se sont embarqués hier pour le sud avec toutes nos familles », répondit Sagramor, puis il se dégagea de l’étreinte d’Arthur et nous regarda. Nous avions sans doute l’air d’une bande lamentable et abattue, car il nous offrit l’un de ses rares sourires avant de s’incliner profondément devant Guenièvre et Ceinwyn. 

« Nous n’avons qu’un seul bateau, dit Arthur, l’air ennuyé.

— Alors, tu le prendras, Seigneur, répliqua calmement Sagramor, et nous, nous irons à Kernow. Nous y trouverons des navires et nous te suivrons. Mais je voulais te rejoindre de ce côté de l’eau, au cas où tes ennemis te retrouveraient.

— Jusqu’ici, nous n’en avons pas vu, dit Arthur en touchant la garde d’Excalibur, du moins pas de ce côté de la mer de Severn. Notre navire sera prêt au crépuscule, et alors nous partirons.

— Eh bien, je te protégerai jusqu’au coucher du soleil », conclut Sagramor, et ses hommes se laissèrent glisser de leurs selles, se débarrassèrent des boucliers qu’ils portaient sur leur dos et plantèrent leurs lances dans le sable. Leurs chevaux, blancs de sueur et pantelants, restèrent debout, fourbus, tandis que les lanciers étiraient leurs membres las. Nous étions maintenant une bande de guerriers, presque une armée, et notre bannière était le drapeau noir de Sagramor.

Mais à peine une heure plus tard, sur des chevaux aussi fatigués que ceux du Numide, l’ennemi survint à Camlann.

Excalibur
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